13/02/2014
Un trouble existentiel
Trébucher dans ma précédente note sur le Salon du livre féminin m’a finalement donné envie de réfléchir à ce qui me dérangeait dans cet intitulé. Une remarque préalable sur ce titre : il semble que le « Salon du livre féminin » soit surtout un « Salon féminin du livre », auquel sont exclusivement conviées des auteurs femmes. L’ordre des mots a son importance. Alors si les organisateurs ont délibérément mis les mots dans cet ordre il faut s’interroger : qu’est-ce qu’un livre féminin ? et, en miroir, un livre masculin ?
Quand j'ai écrit Le Nœud de pomme, j'ai pensé que les souvenirs évoqués par la narratrice (l'enfance, le deuil, l'amour) étaient partageables par tous et je ne m'adressais pas à un lectorat féminin. D'ailleurs, les hommes ayant lu le roman l'ont aimé… J’ai regretté que sur la quatrième de couverture, la phrase initiale : « Combien de moments forts dans une vie ? » soit devenue « Combien de moments forts dans une vie de femme ? », phrase de nature à faire tourner les talons à tous les lecteurs masculins ! Je ne me considère pas comme une femme qui écrirait en direction des femmes mais comme un auteur qui écrit en direction de lecteurs.
Dans une culture historiquement masculine, les livres dits féminins seraient cantonnés à l’exploration de l’intime, du corps et du quotidien. Rien ne change : aux hommes l’espace public, aux femmes les territoires intimes. On bégaye dans un rapport hiérarchisé : le féminin serait quelque chose qui ressemble au masculin mais en moins bien. Il faut donc apposer un adjectif, et parler d’un roman féminin… C’est cantonner les romans écrits par des femmes dans une sous-rubrique, et ajouter un nouvel item aux romans de genre : policier, aventures, fantastique, et… féminin.
Résister à l'hégémonie masculine dans les domaines artistiques mais aussi professionnels en général… Une question qui traverse l'actualité de ces dernières semaines. Des solutions ? Des parades ? Faut-il organiser des salons féminins, des festivals féminins, des colloques féminins ? Il y a un paradoxe dans toute discrimination positive : en voulant à juste titre réparer une injustice, elle renforce un sentiment de minorité. Voilà donc ce qui me dérange dans un Salon du livre féminin : l’idée d’un ghetto littéraire, de l’existence d’écritures communautaires, de sous-genres où l’on se retrouverait enfermés malgré soi. Mais ce trouble existentiel ne va pas m’empêcher d’y aller, parce que cela reste une belle initiative culturelle, et aussi pour voir si un Salon féminin est différent d’un Salon normal (masculin), pour paraphraser Coluche et son normal (blanc).
16:48 Publié dans Billets | Tags : chambrot, salon, roman, féminin | Lien permanent | Commentaires (0)