19/01/2015
Houellebecq en Allemagne
J'ai été ravie de découvrir que Houellebecq était en Allemagne un auteur respecté et que "Soumission" (Unterwerfung pour la traduction allemande) ne suscitait pas les mêmes polémiques qu'ici. On peut lire dans Die Zelt que le roman est "une satire pleine d'humour" et un critique littéraire écrit : “Plus que tout autre écrivain européen actuel, Houellebecq a la sensibilité d’identifier des conflits larvés de nos sociétés et d’en faire la folle trame de ses récits.”
Tandis que chez Ruquier samedi soir, Aymeric Caron mettait Houellebecq dans le même panier que Zemmour et Finkelkraut. Il faudrait quand même que quelqu'un explique à tous ces chroniqueurs la différence entre un roman et un essai…
Cela confirme l'idée qu'en France, une partie de la sphère médiatique parle sans connaître, et préfère la polémique à l'analyse. Il n'y a pas de quoi être fier.
"Michel Houellebecq présente Soumission en Allemagne" (Livres Hebdo)
"Accueil triomphal pour Michel Houellebecq en Allemagne" (Le Point)
19:57 Publié dans Billets | Tags : soumission, michel houellebecq, chambrot, la bonne distance | Lien permanent | Commentaires (0)
13/01/2015
Cher Monsieur Houellebecq, je vous aime toujours
Pas facile de faire une note de lecture sur le dernier roman de Michel Houellebecq, "Soumission" : le livre suscitait la polémique des semaines avant sa sortie, en parler est devenu presque impossible après les attentats de la semaine dernière. Je vais essayer pourtant, parce que j'ai aimé ce livre et parce qu'il n'est pas le brûlot islamophobe que certains décrivent.
Houellebecq dit avoir voulu écrire une satire, et que la meilleure preuve en est que ses personnages sont gentiment ridicules. Il s'agit pour lui de politique-fiction et rien d'autre. Mais un livre et ses intentions échappent à leur auteur dès qu'il est édité et ce sont les lecteurs qui en font un autre livre, qui en font autant de livres qu'il y a de lecteurs. Marcel Duchamp disait "C'est le regardeur qui fait le tableau.", il en est exactement de même pour la littérature. Voilà une des explications, en sus du goût de la polémique et de la mauvaise foi, aux interprétations étranges qui circulent au sujet du livre.
Heureusement, d'autres voix s'élèvent : Gilles Kepel, politologue spécialiste du monde arabe, dit qu'il s'agit d'un "roman visionnaire" et les critiques littéraires s'emparent à leur tour du livre. Augustin Trappenard insiste sur le fait que "Houellebecq n'est pas Zemmour", que "la littérature est toujours ambivalente" et qu'il faut "faire attention aux contresens". Ouf.
Voir l'entretien avec Antoine de Caunes sur Canal + le 12 janvier dernier et celui avec Patrick Cohen sur France Inter.
Le livre maintenant. Il nous raconte les errances d'un universitaire désenchanté, sur le point de se marginaliser totalement. Le sujet principal n'est pas l'islam, qui est à la fois un élément de contexte et une réponse possible à la solitude du personnage. Le sujet est la perte du désir, au sens large : le désir sexuel persiste encore un peu - et c'est une souffrance supplémentaire - mais presque tous les autres ont disparu. Si tout désir est mort, alors pourquoi faire ceci plutôt que cela, ou pourquoi ne pas faire une chose plutôt que ne pas en faire une autre, qu'est-ce que cela changerait ?
"Je me demandais à quoi je pourrais bien m'intéresser moi-même si ma sortie de la vie amoureuse se confirmait, je pourrais prendre des cours d'oenologie peut-être ou collectionner les modèles réduits d'avion."
Mais surnage peut-être encore le dernier désir d'un homme à bout de souffle, le "désir désespéré de s'incorporer à un rite"…
On retrouve un héros typiquement houellebecquien - au bord de la dépression - et les thèmes chers à l'auteur : le vieillissement, la misère sexuelle… ainsi qu'un style qui existe quoi qu'on en dise : adjectifs et adverbes délicieusement choisis, changements de focale parfaitement au point, humour féroce, ironie douce-amère et goût prononcé pour les descriptions techniques des moteurs de voiture… C'est peut-être cette ironie qui fait du livre un roman "indécidable" et dérangeant, en compliquant la tâche du lecteur qui aimerait connaître la position de Houellebecq quand aux évènements qu'il décrit. "Soumission" évolue en douceur en deux mouvements. Le premier, celui qui m'a paru le plus intéressant, est centré sur l'universitaire et la perte de ses attachements ; le second développe l'aspect politique-fiction, contexte politique qui permet la renaissance du personnage… ou pas…
Il est temps de laisser le livre parler de lui-même, en vous livrant quelques extraits.
"Un bonheur bourgeois douloureusement inaccessible au célibataire." - "Je me sentais aussi politisé qu'une serviette de toilette." - "… une conversation entre hommes, cette chose curieuse qui semble toujours hésiter entre la pédérastie et le duel." - "Je me tus méthodiquement." - "Myriam respirait avec régularité, son souffle accompagnait sur un tempo plus alangui le bruit discret de la percolation." - "l'impression de participer à une expérience collective décevante, mais égalitaire, pouvait ouvrir le chemin d'une résignation partielle". - "Il me fallait bien un deuxième verre de calvados pour réfléchir à la question. Après réflexion, il me parut même plus prudent de redescendre acheter une bouteille." - "Victime d'une crise d'hypoglycémie mystique…" - "Devais-je alors mourir ? Cela me paraissait une décision prématurée."
15:07 Publié dans Billets | Tags : soumission, houellebecq, eve chambrot, la bonne distance | Lien permanent | Commentaires (0)
07/01/2015
J moins zéro
Voilà, ça y est , je viens d'acheter le dernier Houellebecq, celui dont tout le monde parle ces jours-ci, sans forcément l'avoir lu.
Je vais donc prendre le temps de le faire avant de vous donner ici un avis personnel. Mais, pour moi comme pour bon nombre de futurs lecteurs, il va être difficile d'effectuer cette lecture en faisant abstraction de tout ce qui aura été propagé sur les ondes avant ! Houellebecq doit bien rigoler… Ainsi qu'il le disait hier soir sur France2, il ne recherche pas la polémique, mais il l'assume.
Un des meilleurs exemples de ce déchaînement est la tentative d'interview par Patrick Cohen d'un Edwy Plenel déchaîné qui ne veut même pas le regarder dans les yeux. C'était dans C à vous sur France 5 hier soir. Plenel reproche entre autres aux médias de donner une tribune à Houellebecq. Il ne manquerait plus que cela, le boycott du plus grand auteur français contemporain…
A noter que l'émission "ça vous regarde" sur LCP ce soir à 19h45 sera consacrée au "sujet". Je crains le pire, connaissant les qualités d'interviewer d'Arnaud Ardoin, qui pose invariablement ses questions ainsi : "vous en pensez quoi ?"…
Saluons l'intelligence de Patrick Chêne, dans Politique matin sur LCP, qui a donné mission à ses éditorialistes de lire "Soumission" afin de pouvoir en parler lundi prochain: rendez-vous est pris ! Au moins, les commentaires seront faits par des personnes ayant lu le texte.
A lire aussi, un bon article dans Libération en ligne ce matin.
Sur LCP, lors du journal de 22h hier, on a pu entendre Ivan Rioufol (du Figaro) expliquer que Houellebecq était misogyne car (dans le roman) il souhaitait le retour des femmes à la maison et la polygamie. On ne répétera jamais assez qu'il ne faut pas confondre l'auteur et le narrateur ou les personnages : qui songerait à demander à Harlan Coben s'il est favorable au meurtre ? C'est pourtant ce qu'a fait David Pujadas en demandant à Houellebecq hier au journal de 20h s'il était favorable à l'arrivée au pouvoir d'un parti musulman.
Tout ce petit monde fait comme si Houellebecq avait écrit un essai et non un roman… Pourtant, lorsqu'il avait écrit "La Carte et le territoire", nous montrant une France désindustrialisée qui ne pouvait plus faire autre chose que devenir un parc d'attractions pour touristes, personne n'en avait fait un débat sur les positions de Houellebecq sur la mondialisation, sujet pourtant éminemment d'actualité.
Rien ne vous saute aux yeux dans toutes ces interviews et débats ? C'est qu'ils sont exploités sur le terrain politique, par des journalistes politiques, et qu'on désespère d'entendre (enfin) une critique LITTERAIRE du livre. On se demande pourquoi Houellebecq n'est pas invité - ou du moins annoncé - dans les (rares) émissions littéraires comme La Grande librairie ou Au Field de la nuit ? Pour l'instant, il n'y a guère que la tribune d'Emmanuel Carrère dans le Monde qui se place sur ce terrain, et qui nous rappelle l'existence des romans prophétiques comme "Le Meilleur des mondes" ou "1984" : "Houellebecq partage avec Aldous Huxley une curiosité fascinée pour les phénomènes religieux, avec George Orwell l’horreur de la correction politique." Que M. Carrère soit remercié pour nous rappeler ce qu'est un écrivain et ce qu'est la littérature.
Bon, je file, j'ai un roman à lire. A bientôt !
11:11 Publié dans Billets | Tags : soumission, houellebecq, chambrot, bonne distance | Lien permanent | Commentaires (0)
23/12/2014
Attendre jusqu'au 7 janvier
Houellebecq n'avait rien écrit depuis "La Carte et le territoire", qui avait eu le prix Goncourt en 2010. Voilà déjà une bonne raison pour attendre avec impatience la sortie de "Soumission" le 7 janvier prochain.
Le roman n'est pas encore en librairie qu'il fait déjà polémique puisque le sujet a fuité : le livre parle de l'islam, Houellebecq mettant en scène une future élection présidentielle où le parti imaginaire de la Fraternité musulmane l'emporterait au 2ème tour. Les journalistes, enfin certains journalistes, et les internautes, enfin certains internautes, adorant se ruer sur Houellebecq pour polémiquer sans fin, les commentaires les plus inutiles circulent déjà.
Il est donc urgent de lire l'excellent article de Nathalie Crom dans Télérama qui donne trois bonnes raisons de lire "Soumission". La première est que ce n'est pas "le brûlot anti-islam que commentent et éreintent, sans l'avoir lu, de nombreux internautes". La seconde, c'est que Houellebecq, qu'on l'aime ou non, est un observateur impitoyable de la société occidentale, de "ses inquiétudes et ses impasses" et dont il devine, pressent, imagine avec acuité les devenirs possibles. Enfin, Houellebecq est en France l'un des écrivains majeurs contemporains et, selon Emmanuel Carrère, "il occupe la place laissée vacante par Sartre".
Beaucoup de gens détestent Houellebecq sans jamais l'avoir lu, à cause de son allure de pauvre type lessivé et de son image de provocateur compulsif. C'est ainsi que l'on passe à côté de son intelligence rare et de sa grande culture. Des lecteurs de "La Bonne distance", qui n'aimaient guère Houellebecq au départ, sont venus me voir pour me dire que le livre avait changé leur vision du personnage et leur avait donné envie de se plonger dans son oeuvre, au moins pour se faire une idée personnelle. Ces retours me réjouissent ! En conclusion, si vous n'aimez pas Houellebecq et redoutez de lire "Soumission" tout en vous désolant du risque de passer à côté d'un auteur majeur, alors lisez "La Bonne distance" avant et laissez-vous contaminer !
13:59 Publié dans Romans | Tags : roman, chambrot, la bonne distance, soumission, michel houellebecq | Lien permanent | Commentaires (0)