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29/05/2014

De la première phrase au rayon de la librairie

Ecrire, c'est un parcours du combattant. Entre l'idée qui se dessine et la première phrase jaillissant de la trépidation impatiente des doigts sur le clavier, se déroule toute la période de recherche documentaire, du carnet de notes où tout arrive en vrac, des heures passées sur internet ou dans d'autres livres, dont la pile se verticalise de jour en jour.

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Ensuite, de la première phrase (jaillissant etc) à la dernière, aussi importantes l'une que l'autre, des mois et des mois de réclusion volontaire. Après cela, laisser reposer, lire et relire encore, retailler ici et là, traquer les fautes, les coquilles, les lourdeurs, les répétitions. Puis laisser reposer. Relire. Encore et encore. Puis vient le temps de la recherche d'un éditeur, des dizaines de courriers portant espérance, de longs mois d'attente déraisonnable traversée par le doute. Si tout va bien, un éditeur téléphone son oui, on exulte. Viennent alors les ultimes relectures et la fabrication. A ce stade-là, on se souvient à peine du commencement des choses. Enfin, le livre sort.

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Et c'est là… que les vraies difficultés commencent.

Sauf à être un mastodonte de l'édition, propulsant ses nouveautés par cartons entiers au moyen d'un diffuseur, figurer en librairie représente pour l'éditeur un travail titanesque : du porte-à-porte avec une valise pleine de livres. Et environ 3 000 librairies en France. Une mission impossible. Un travail de fourmi qui prend du temps, beaucoup de temps. Le raz-de-marée n'est pas en vue, pas même l'inondation, ni l'averse, juste quelques gouttes ici et là.

Il faut saluer l'engagement des éditeurs indépendants, patients et obstinés, et celui des libraires indépendants qui les accueillent.

En Lorraine, on peut trouver La Bonne Distance chez 4 libraires que je remercie chaleureusement :

NANCY       : Librairie DIDIER et librairie L'AUTRE RIVE

METZ          : Librairie HISLER EVEN

LUNEVILLE : Librairie QUANTIN

17/03/2014

Régis Jauffret ou le roman augmenté

Tout ou presque a été dit sur l’ « affaire DSK ». Beaucoup de choses ont été dites sur le roman qu’elle a inspiré à Régis Jauffret, tout et n’importe quoi à vrai dire, voire tout et son contraire.

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On reproche à Régis Jauffret, comme à tous ceux que les faits divers inspirent, de manquer à ce point d’imagination qu’ils doivent puiser dans la réalité pour nourrir leurs romans. Jauffret le savait par avance, il a l’habitude, après Sévère (2010) et le magistral Claustria (2012).

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 Mais en même temps on lui reproche de ne pas s’être inspiré assez de la réalité : on lui en veut de ne pas avoir exploré telle ou telle hypothèse, de ne pas avoir relaté l’éventail des pistes possibles de l’affaire : complot, terrorisme, prostitution… On voudrait qu’il se comporte en journaliste, alors que c’est un écrivain. C’est sidérant de voir à quel point d’éminents critiques littéraires parviennent à faire la confusion entre les deux statuts. Régis Jauffret s’en fout, il le savait par avance : « Arrête de dire que je suis écrivain, ils vont penser que je suis journaliste »

A la différence du journaliste ou de l’historien, le romancier a accès aux pensées intimes de ses personnages, ce qui lui permet de proposer une explication à leurs actions. Les zones d’ombres sont éclaircies, les lacunes de la compréhension comblées. C’est la réalité augmentée que revendique Jauffret en exergue de son roman.

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 Journaliste ou écrivain, les choses sont cependant plus complexes qu’il n’y paraît. Il faut relire De sang froid, le chef d’oeuvre de Truman Capote, et se souvenir de la notion qu’il avait inventé pour le décrire : le roman non fictionnel, appelé aussi « faction », mot-valise anglophone à partir de fact + fiction. Dans ces romans non fictionnels, inspirés de faits divers, « les techniques romanesques provoquent une excitation, une intensité et une puissance d’émotion auxquelles n’aspirent nullement le reportage (…), tandis que la garantie qu’a le lecteur qu’il lit une histoire « vraie » la rend beaucoup plus captivante que n’importe quel roman. » affirme David Lodge dans son indispensable Art de la fiction. Les romans non fictionnels ne font pas partie d’un sous-genre témoignant d’une imagination en perte de vitesse, mais sont bien au contraire des romans augmentés : le pouvoir du romanesque augmenté de la fascination pour une histoire vraie.

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 Se priver de lire La Ballade de Rikers Island sous prétexte que l’on en assez de cette histoire rebattue par les médias serait se priver d’une jouissance unique, celle de lire Jauffret. Et on serait bien mal inspiré, tant la puissance de son écriture envoûte, écrase, stimule, ou fait éprouver une irrépressible jubilation. Une écriture de laboureur, brutale, dense, qui creuse son sillon avec rudesse, parce qu’au bout il y a le miracle de la récolte : la littérature.

« Le viol devenu l’apanage de la beauté, les autres ravies de servir d’ustensile, de récipient, d’abandonner à genoux leur bouche à tous les malotrus assez généreux pour les désaltérer. (…) Les recalées soupçonnées d’être des putains qui, à défaut de tenter les violeurs, vendaient sans doute avant l’affaire leurs charmes à des clients affectés de cécité. »

Une écriture qui appelle un chat un chat avec une rare élégance, tout en convoquant des métaphores glissées avec douceur au sein de phrases incisives au rythme impeccable.

« Des érections à humilier Dieu, ce flot qui aurait pu éteindre un incendie ».

 Et, comme si cela ne suffisait pas, la construction du roman tient en haleine de bout en bout. Jauffret mène tous les fronts en même temps, la geôle, l’appareil judiciaire américain, l’affolement médiatique et l’enquête que l’auteur tente de mener en Afrique, un pays où l’on trouve « une essence plus chère que la bière dont de mémoire d’habitant personne ne se souvient avoir jamais fait le plein ».

Mais surtout il explore les zones sombres où personne n’est allé avant lui : les pensées de l’homme en cage, de sa femme sidérée, à « la désinvolture de résistante toisant ses bourreaux entre deux immersions dans la baignoire » et de la femme de chambre terrorisée, parlant une langue où le mot viol n’existe pas, le tout jaillissant comme un feu d’artifice qui partirait dans toutes les directions pour constituer au final un motif recomposé, celui des rapports de pouvoir dans un monde masculin dominé par l’argent.

« Un homme lointain à l’autre extrémité de l’échelle humaine où, juste au-dessus du marécage, elle tremblait sur le dernier barreau ».

On sait, après avoir lu La Ballade, de quel côté se range Jauffret : celui des femmes.

 « Les hommes, des femmes ratés par les dieux qui leur avaient collé ce hochet au bas du ventre pour les consoler. »

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Régis Jauffret pourrait, la prochaine fois, raconter une histoire de cueillette de petits pois que je me précipiterais pour acheter le livre : quel que soit le sujet dont il s’empare, le plus important est la force de l'écriture qu’il nous jette au visage.

 

13/02/2014

Un trouble existentiel

 

Trébucher dans ma précédente note sur le Salon du livre féminin m’a finalement donné envie de réfléchir à ce qui me dérangeait dans cet intitulé. Une remarque préalable sur ce titre : il semble que le « Salon du livre féminin » soit surtout un « Salon féminin du livre », auquel sont exclusivement conviées des auteurs femmes. L’ordre des mots a son importance. Alors si les organisateurs ont délibérément mis les mots dans cet ordre il faut s’interroger : qu’est-ce qu’un livre féminin ? et, en miroir, un livre masculin ?

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 Quand j'ai écrit Le Nœud de pomme, j'ai pensé que les souvenirs évoqués par la narratrice (l'enfance, le deuil, l'amour) étaient partageables par tous et je ne m'adressais pas à un lectorat féminin. D'ailleurs, les hommes ayant lu le roman l'ont aimé… J’ai regretté que sur la quatrième de couverture, la phrase initiale : « Combien de moments forts dans une vie ? » soit devenue « Combien de moments forts dans une vie de femme ? », phrase de nature à faire tourner les talons à tous les lecteurs masculins ! Je ne me considère pas comme une femme qui écrirait en direction des femmes mais comme un auteur qui écrit en direction de lecteurs.

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Dans une culture historiquement masculine, les livres dits féminins seraient cantonnés à l’exploration de l’intime, du corps et du quotidien. Rien ne change : aux hommes l’espace public, aux femmes les territoires intimes. On bégaye dans un rapport hiérarchisé : le féminin serait quelque chose qui ressemble au masculin mais en moins bien. Il faut donc apposer un adjectif, et parler d’un roman féminin… C’est cantonner les romans écrits par des femmes dans une sous-rubrique, et ajouter un nouvel item aux romans de genre : policier, aventures, fantastique, et… féminin.

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Résister à l'hégémonie masculine dans les domaines artistiques mais aussi professionnels en général… Une question qui traverse l'actualité de ces dernières semaines. Des solutions ? Des parades ? Faut-il organiser des salons féminins, des festivals féminins, des colloques féminins ? Il y a un paradoxe dans toute discrimination positive : en voulant à juste titre réparer une injustice, elle renforce un sentiment de minorité. Voilà donc ce qui me dérange dans un Salon du livre féminin : l’idée d’un ghetto littéraire, de l’existence d’écritures communautaires, de sous-genres où l’on se retrouverait enfermés malgré soi. Mais ce trouble existentiel ne va pas m’empêcher d’y aller, parce que cela reste une belle initiative culturelle, et aussi pour voir si un Salon féminin est différent d’un Salon normal (masculin), pour paraphraser Coluche et son normal (blanc).

 

16:48 Publié dans Billets | Tags : chambrot, salon, roman, féminin | Lien permanent | Commentaires (0)

05/01/2014

La concision est mère de toute bonne littérature (à mon avis)

Voici la première phrase du roman "Un an" de Jean Echenoz :

"Victoire, s'éveillant un matin de février sans rien se rappeler de la soirée puis découvrant Félix mort près d'elle dans leur lit, fit sa valise avant de passer à la banque et de prendre un taxi vers la gare Montparnasse."

Avouez qu'on peut difficilement mieux faire en matière de concision et d'ellipse ! D'autres auteurs auraient sans nul doute mis deux ou trois chapitres pour relater en tout ou partie la soirée, pour décrire l'effroi de Victoire à son réveil, ses tentatives pour réveiller Félix, ses interrogations, avec un bref détour par leur histoire d'amour, comment s'étaient-ils rencontrés, combien de temps auparavant, bla bla bla, peut-être même une petite description de l'appartement, et puis pour finir les étapes détaillées du départ. Ici, non. Les faits bruts dans leur âpreté, tout le nécessaire et rien de superflu.

A quoi tient cette extraordinaire concision ? A un trait de caractère personnel de l'auteur, le poussant à aller à l'essentiel ? A un sens du suspense très maîtrisé, le lecteur étant happé par l'envie irrésistible de dilater au plus vite toutes les ellipses contenues en quelques mots ? A une préférence pour le travail sur la langue, la narration venant alors au second plan ? A une certaine forme de politesse littéraire visant à ne pas ennuyer le lecteur ? Quoiqu'il en soit, cela fonctionne…

 

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Très vite, pour ne pas alourdir ce billet, une mention de l'extraordinaire travail que fait Echenoz sur les adjectifs : ce n'est jamais celui que vous attendez qui surgit, vous pouvez en faire l'essai :

un salon résigné, une cuisine réticente, une Simca Horizon périmée, un yaourt divorcé, des cheveux noirs coiffés en casque mouvementé… la suite aux Editions de Minuit !

 

10:36 Publié dans Billets | Tags : echenoz, an, chambrot | Lien permanent | Commentaires (0)

29/10/2013

Il faut lire d'urgence le dernier Brigitte Giraud

 Je viens de refermer « Avoir un corps », le dernier roman de Brigitte Giraud. La première réflexion qui me vient est qu’il ne suffit pas de se fier au titre pour acheter ou ne pas acheter un livre. « Avoir un corps » ne me disait rien qui vaille, et je serais passée à côté de ce livre magnifique si je n’avais pas vu Brigitte Giraud à la Grande Librairie. Elle m’a plu, ce qu’elle disait de son livre m’a plu et je l’ai acheté. J’ai bien fait.

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Je viens de le refermer, disais-je, et je reste sonnée. Je dirais bien bouleversée, si je ne détestais pas ce mot pour ce qu’il évoque en moi de pathos et d’hystérie. Sonnée, donc. Le point de vue adopté est très séduisant : raconter sa vie depuis l’enfance par le prisme unique du corps. Les vêtements de fille qui empêchent de jouer vraiment, les chaussettes qu’il faut remonter pour avoir l’air convenable, les boutons de la scarlatine qui isolent du monde, le refus de devenir une usine à enfant… C’est intelligent, très sensible et particulièrement bien écrit. Et puis à la fin, le deuil, la douleur, toujours par le prisme du corps et lui seul : perte du goût, de l’appétit, du sommeil, perte de la densité, et plus tard la vie qui revient par l’odeur du café dont on redécouvre l’existence et le premier chili con carne qu’on se surprend à cuisiner. Des détails ? Loin de là.  La charge émotionnelle traverse le papier comme l’eau le buvard et on se retrouve… j’allais dire bouleversé. Le texte le plus fort que j’aie lu ces derniers temps.

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Si vous êtes une femme, lisez-le, il vous parlera comme à une sœur. Si vous êtes un homme, lisez-le aussi, vous découvrirez ce qu’est la vie dans un corps de femme. Vous êtes un homme écrivain ? Ecrivez-vite le pendant masculin de ce livre, je suis impatiente.

 

 

16:04 Publié dans Billets | Tags : giraud, corps, chambrot | Lien permanent | Commentaires (0)